LE CHOCOLAT DURABLE RESTE UN DOUX RÊVE

En Suisse, les chocolatiers et le commerce de détail se classent dans la moyenne internationale. La «Chocolate Scorecard 2023 » mise en place par l’ONG « Be Slavery Free » et communiquée par un groupe d’ONG internationales, évalue 72 fabricants de chocolat du monde entier sur la base de différents critères en lien avec la durabilité comme la déforestation, les violations des droits humains ou la transparence. Le cacao est, à l’échelle planétaire, l’une des principales causes de destruction des forêts, et donc un moteur important des crises du climat et de la perte de biodiversité.

Seuls 11% des entreprises actives dans le secteur du chocolat sont en mesure de retracer entièrement l’origine du cacao qu’elles utilisent. Dans ces conditions, elles ne devraient pas être autorisées à brandir l’étiquette «durable», ce qu’elles sont pourtant nombreuses à faire.

Alors que 91% des entreprises se sont dotées de directives leur interdisant de défricher les forêts, seule la moitié d’entre elles prennent des mesures concrètes pour garantir que c’est effectivement le cas chez leurs fournisseurs.

Par ailleurs, seuls 6% des enfants contraints de travailler dans des conditions inacceptables sont identifiés.

Citation: Romain Deveze, expert de la forêt au WWF Suisse :

«Toutes les entreprises doivent garantir que leurs propres chaînes de livraison sont vraiment durables. Les fournisseurs de leurs fournisseurs doivent aussi se soumettre à cette règle excluant la déforestation et les violations des droits humains.»

A l’échelle mondiale, le cacao est l’une des principales causes de la déforestation croissante. L’Afrique de l’Ouest est à elle seule responsable des trois quarts de la production mondiale. Les deux plus grands producteurs de la région, la Côte d’Ivoire et le Ghana, ont perdu la majeure partie de leurs forêts ces 60 dernières années: environ 94% en Côte d’Ivoire et 80% au Ghana, un tiers de ces pertes étant dues à la culture du cacao. Les forêts sont une ressource naturelle décisive dans la lutte contre la crise climatique, puisqu’elles absorbent et stockent le dioxyde de carbone. Avec la destruction des forêts, nous perdons par ailleurs les habitats de nombreuses espèces végétales et animales. Aujourd’hui déjà, la déforestation des forêts d’Afrique de l’Ouest a anéanti une grande partie de l’habitat naturel des grands singes.

Sur 53 entreprises ayant répondu aux questions de la «Chocolate Scorecard» actuelle, 48 se sont dotées de règles excluant la déforestation. Elles obligent ainsi leurs fournisseurs à acheter du cacao dans des régions où les couronnes des arbres ne sont pas sacrifiées au profit des cultures. Néanmoins, seule la moitié des entreprises concernées attendent des améliorations de la part de leurs fournisseurs et prévoient leur exclusion en cas de non-respect des règles qu’elles ont définies. Parmi les entreprises examinées, 11% seulement assurent la traçabilité de leur cacao jusqu’à son origine. Par ailleurs, 40% du cacao est, en moyenne, acheté de manière indirecte. Cela signifie que le consommateur ou la consommatrice ne sait pas réellement d’où vient la matière première du chocolat qu’il ou elle achète. Les entreprises doivent prendre des mesures concrètes pour la collaboration avec leurs fournisseurs, afin de connaître la provenance du cacao qu’elles utilisent. Ce n’est que de cette manière que leurs slogans vantant l’aspect durable de leurs produits deviendront crédibles.

La nature et les êtres humains ont besoin d’une meilleure protection
Pour que le chocolat devienne plus durable, les cultivateurs et cultivatrices de cacao et leurs familles doivent être rémunérés de manière équitable. Près de la moitié des entreprises ayant participé à la «Chocolate Scorecard» indiquent avoir introduit un «prix de référence assurant un revenu vital». La plupart d’entre elles ne paient toutefois pas ce prix pour une grande partie de leurs achats de cacao. Un revenu vital est le revenu net annuel dont une famille paysanne a besoin pour accéder à un niveau de vie raisonnable.

Un grand nombre de cultivateurs et cultivatrices de cacao est pourtant mal rémunéré et la situation est encore pire pour les plus fragiles d’entre eux. Le rapport commandé par le ministère américain du travail «NORC Report 2020» a révélé que près de 1,5 million d’enfants travaillaient dans la production de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana, et que 95% de ces enfants étaient exposés aux pires formes du travail en raison de sa dangerosité. Selon les indications des entreprises passées sous la loupe par la «Chocolate Scorecard», 1,3 million de foyers de cultivateurs et cultivatrices de cacao ont été intégrés à un programme de surveillance du travail des enfants. Dans ces foyers, 110 000 cas graves ont été constatés l’an dernier; un chiffre très faible qui contraste avec l’estimation de 1,4 million d’enfants contraints de travailler dans les pires conditions selon le rapport NORC. Cette différence permet d’estimer que seuls environ 6% des enfants contraints aux pires formes de travail sont identifiés et donc aidés.

Le pays du chocolat dans la moyenne
Parmi les producteurs et commerçants de détail suisses examinés, Halba obtient le meilleur résultat. Coop, Barry Callebaut, Lindt & Sprüngli, Mondelēz International avec Toblerone et Unilever se situent dans la moyenne. De nombreux autres produits chocolatés, qui ne sont pas d’origine suisse, sont disponibles en Suisse. Malheureusement, toutes les entreprises et les détaillants suisses de chocolat n’ont pas été pris en compte dans l’analyse*. Fait choquant pour la Suisse, son empreinte écologique dans le secteur du cacao représente 3% de l’empreinte mondiale de cette matière première, ce qui est très élevé en regard de la part de notre pays à la population mondiale (0,1%).

D’après le rapport du WWF «Déforestation importée», la Suisse importe plus de la moitié (54%) de ses produits à base de cacao de pays où le risque de déforestation, de mauvaises conditions de travail et de corruption est élevé. En Côte d’Ivoire, en Équateur, au Nigeria, au Pérou, en Indonésie et à Madagascar, ces problèmes font partie intégrante de la production de cacao. La quantité de cacao nécessaire aux importations suisses de matière première s’est montée en moyenne à plus de 95 000 tonnes par année entre 2015 et 2019. La surface estimée qui doit être mise à disposition pour satisfaire la demande de cacao de la Suisse s’est montée, durant la même période, à plus de 300 000 hectares en moyenne par année.

Facebooktwitterlinkedin

Catégories :

Catégories