Technologies biométriques : les Français s’estiment mal informés et réclament des garanties fortes

A l’heure où le choix entre faciliter le recours aux technologies biométriques ou maintenir leur strict encadrement se fait de plus en plus pressant, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a souhaité connaître la perception des Français sur ce sujet et publie ce jour une enquête d’opinion.

Il ressort de cette enquête quatre enseignements majeurs :

1)      L’existence d’un important déficit d’information du public : à peine plus d’un tiers des Français se sent bien informé sur le fonctionnement ou les domaines dans lesquels interviennent les technologies biométriques. Cette connaissance partielle est fortement orientée autour des enjeux de sécurité, les usages mis en œuvre à d’autres fins étant nettement moins bien appréhendés.

2)      Un degré de confiance variable en fonction des entités responsables des déploiements : si les Français font confiance aux institutions régaliennes pour avoir une utilisation raisonnée des technologies biométriques, il n’existe pas de soutien inconditionnel à un usage généralisé de ces technologies. 33% des Français hésiteraient ou renonceraient à se rendre à une manifestation si des technologies biométriques y étaient déployées par les forces de l’ordre. Par ailleurs, le rejet des technologies d’évaluation est particulièrement marqué dans le secteur privé : plus de la moitié des Français s’opposent à l’analyse systématique de leurs comportements à des fins publicitaires ou de prévention de vol dans les magasins comme dans le cadre d’entretiens d’embauche.

3)      Une prise de conscience des risques d’atteintes aux droits : si de prime abord les Français n’identifient pas les risques d’atteintes aux droits que présentent les technologies biométriques, au fur et à mesure de l’enquête il devient clair pour une majorité de répondants qu’ils présentent des risques de discriminations et d’atteinte au respect de la vie privée.

4)      Une forte volonté de voir l’encadrement juridique existant renforcé : plus d’un tiers des Français considère que les enjeux liés aux technologies biométriques sont mal pris en compte par les pouvoirs publics. 84% d’entre eux estiment qu’un renforcement du cadre juridique applicable permettrait de mieux garantir les droits des personnes et un tiers considère qu’il est tout à fait prioritaire d’établir des interdictions dans certains domaines.

Ces résultats font écho au rapport du Défenseur des droits paru en 2021 intitulé Technologies biométriques : l’impératif d’agir pour le respect des droits fondamentaux. A la veille de l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 et, alors que les pouvoirs publics envisagent d’expérimenter des technologies de sécurité reposant sur l’exploitation d’algorithmes, il apparaît plus que jamais nécessaire de rappeler que les avancées que permettent les technologies biométriques ne sauraient s’effectuer ni au détriment d’une partie de la population, ni au prix d’une surveillance généralisée. Afin de garantir la protection des droits fondamentaux à l’ère des technologies biométriques, la Défenseure des droits rappelle ses recommandations :

          Ecarter les méthodologies d’évaluation non pertinentes : le développement important d’outils biométriques d’évaluation aux méthodologies scientifiques non éprouvées appelle à la responsabilisation des acteurs compte tenu du risque discriminatoire qu’ils présentent ;

          Mettre en place des garanties fortes et effectives pour s’assurer du respect des droits des individus :

  • Dans le cadre d’un usage à des fins policières : étendre l’interdiction explicite de recours à l’utilisation de logiciels de reconnaissance faciale appliquée aux images captées par drones aux autres dispositifs de surveillance existants (caméras piétons, vidéosurveillance, etc.) ;
  • Pour tous les usages : s’interroger systématiquement sur l’opportunité d’utiliser une technologie moins intrusive, contrôler systématiquement les biais discriminatoires et faciliter le droit au recours ;

          Repenser les contrôles existants notamment en révisant le seuil d’évaluation des marchés publics informatiques et en intégrant une appréciation des risques de discrimination et en instaurant une obligation de recourir à un audit régulier, externe et indépendant des dispositifs biométriques d’identification et d’évaluation ;

          Renforcer les obligations en matière d’information du public et former les professionnels des métiers techniques et d’ingénierie informatique et les organisations utilisatrices et de contrôle aux risques que les algorithmes font peser sur les droits fondamentaux. Le Défenseur des droits y contribue : il propose avec le soutien du Conseil de l’Europe depuis le 4 octobre, et ce pour la seconde année, une formation en ligne sur l’intelligence artificielle et les discriminations proposée à de nombreux acteurs.

De quoi parle-t-on ?

Les technologies biométriques sont des technologies dont le fonctionnement consiste à collecter des caractéristiques corporelles spécifiques à chaque personne dans le but d’authentifier, d’identifier ou d’évaluer les individus.

Au sens du droit des données personnelles, ces caractéristiques constituent des données biométriques lorsqu’elles font l’objet de traitements spécifiques permettant d’établir l’identification des individus de manière unique. À l’heure où les traitements de données issues du corps humain se multiplient, l’étude d’opinion du Défenseur des droits se propose d’aborder ces technologies au sens large et d’en dégager trois finalités principales : l’authentification, l’identification et l’évaluation.

Authentification : L’authentification consiste à vérifier l’identité de quelqu’un en comparant ses données biométriques à un instant T à celles de l’identité attestée qu’elle revendique (ex : déverrouillage d’un téléphone par reconnaissance faciale).

Identification : L’identification consiste à retrouver une personne au sein d’un groupe d’individus, dans un lieu, sur une image, ou dans une base de données à partir des traits de son visage (reconnaissance faciale), de sa voix (reconnaissance vocale), de sa gestuelle (reconnaissance de la démarche) ou de tout autre type de donnée biométrique. Un système d’identification permet de réaliser l’opération suivante : le gabarit tiré, par exemple, des traits du visage d’une personne, est comparé au moyen d’un algorithme à une pluralité d’autres gabarits stockés sur une base de données afin de déterminer l’identité de la personne, de retrouver cette personne ou de suivre ses mouvements. En d’autres termes, les technologies d’identification croisent les données biométriques de personnes filmées, photographiées, ou enregistrées, avec une liste de personnes recherchées. En février 2021, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a adressé une mise en demeure à un club sportif qui envisageait de recourir à un système de reconnaissance faciale afin d’identifier automatiquement les personnes faisant l’objet d’une interdiction commerciale de stade.

Evaluation : Partant des données corporelles et/ou issues de systèmes biométriques, les technologies d’évaluation dites également d’analyse visent à :

  • Identifier ou déduire des traits de personnalité ou des intentions (ex : dans le cadre d’un recrutement) ;
  • Inscrire la ou les personnes visées dans des catégories spécifiques, par exemple de sexe, d’âge, de couleur de cheveux, de couleur des yeux, d’origine ethnique ou d’orientation sexuelle ou politique en vue de prendre des mesures spécifiques (on parle alors de systèmes de « catégorisation »).
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