Marché français de l’investissement : une forte baisse à nuancer

Chute de près de 30 % sur un an à la fin du 3e trimestre

Après la forte baisse de 38 % enregistrée entre le 1er et le 2e trimestre 2020, les sommes engagées sur le marché français de l’investissement en immobilier d’entreprise (bureaux, commerces et locaux industriels) sont globalement restées stables au cours des trois derniers mois. « 4,6 milliards d’euros ont été investis dans l’Hexagone au 3e trimestre 2020, soit une légère hausse de 5 % par rapport au trimestre précédent. Cette augmentation ne peut masquer le choc créé par l’épidémie de Covid-19 puisque ce sont un peu plus de 9 milliards d’euros qui avaient été investis au 3e trimestre 2019 » annonce Matthieu Garreaud, co-directeur du département Investissement de Knight Frank France. Les montants investis depuis le début de 2020 s’élèvent désormais à 16,1 milliards d’euros, contre 22,1 milliards à la même époque l’an passé. La baisse est de 27 %, même s’il convient de la nuancer du fait du résultat exceptionnel de 2019. Par ailleurs, l’activité équivaut pour l’instant à celle de la même période en 2018 et affiche même une hausse de 18 % par rapport à la moyenne décennale.

Le marché français est loin, en effet, d’être bloqué : les capitaux à investir restent importants, et le vif appétit des investisseurs pour les actifs sécurisés ou offrant la meilleure capacité de résistance à la crise sanitaire continue de se traduire par la finalisation d’opérations importantes, initiées avant ou depuis le confinement. Lors des neuf premiers mois de 2020, ce sont 44 opérations supérieures à 100 millions d’euros qui ont ainsi été recensées, pour un volume totalisant 10,1 milliards d’euros et représentant 63 % de l’ensemble des sommes investies dans l’Hexagone. L’an passé, les grandes transactions étaient au nombre de 51 sur la même période, pour un volume de 13,1 milliards d’euros. « Ce recul est, là encore, à relativiser. L’année 2019 mise à part, les grandes opérations n’avaient jamais été aussi importantes, en nombre et en volume, depuis 2007 » explique Matthieu Garreaud. La majorité de ces grandes transactions ont été enregistrées en Ile-de-France (36 sur 44). Toutefois, plusieurs ont animé les marchés régionaux, où la somme des montants investis n’accuse qu’une baisse limitée de 5 % sur un an contre une forte chute de plus de 30 % en région parisienne.

Les bureaux affichent le recul le plus important

C’est sur le segment des bureaux que la chute est la plus forte. Avec 10,9 milliards d’euros investis en France depuis le début de 2020, le recul est de 34 % par rapport à la même période en 2019, qui avait néanmoins bénéficié d’un nombre élevé de très grandes opérations (« Le Lumière » à Paris, la tour « Majunga » à La Défense, « Crystal Park » à Neuilly, la tour « To Lyon », etc.). Les méga-deals jouent un rôle moins décisif en 2020, même si le nombre de transactions supérieures à 100 millions est relativement important (34 en 2020, contre 41 à la même période en 2019 mais 34 lors des neuf premiers mois de 2018). La baisse est bien plus marquée s’agissant du nombre total d’opérations, toutes tailles confondues (264 contre 354 l’an passé), ou du nombre de transactions de taille intermédiaire, celles comprises entre 50 et 100 millions d’euros (17 contre 31 l’an passé et 30 à la même période en 2018).

Les biens core représentent la majorité des actifs de bureaux cédés depuis le début de 2020, ce qui n’est guère surprenant. Les interrogations liées aux conséquences de la crise sanitaire (choc économique, mesures de distanciation, essor du télétravail, etc.) alimentent en effet la prudence des investisseurs. « Ayant d’importantes liquidités à placer, les investisseurs sont plus sélectifs que véritablement attentistes. Ils privilégient donc les biens de qualité et sécurisés par des baux longs, à l’exemple, au 3e trimestre, de la cession à LA FRANÇAISE REM de plus de 20 000 m² loués à SAFRAN à Malakoff, ou de la vente à PRIMONIAL REIM des immeubles 3, 4 et 5 de « M Campus », occupés par THALES à Meudon » explique Matthieu Garreaud. Néanmoins, les cessions des derniers mois ne concernent pas uniquement des biens core. Ces derniers voient même leur part diminuer d’un trimestre à l’autre (de 68 à 60 %) du fait de la finalisation de quelques grandes cessions d’actifs vacants, partiellement vacants ou disposant de baux d’une durée limitée (acquisition par ALLIANZ de deux des trois tours « Citylights », cession à BNP PARIBAS REIM d’Austerlitz 2 dans le 13e, etc.). « De telles opérations illustrent la confiance des investisseurs, pour autant que les biens à acquérir se situent dans des secteurs tertiaires établis, ou dans des zones où l’offre à venir reste assez contenue pour éviter une trop forte dégradation des valeurs locatives. Le contexte est bien sûr plus difficile pour les actifs vides de secteurs moins liquides, moins bien reliés aux transports en commun et où sont attendues d’importantes livraisons de projets neufs-restructurés » poursuit Matthieu Garreaud.   

Cette segmentation de marché se traduit par de plus grands écarts de taux de rendement, alors que la tendance était au resserrement avant le déclenchement de l’épidémie de Covid-19. De fait, la correction haussière s’accentue s’agissant des actifs « à risque », tandis que les décotes restent pour l’instant limitées pour les biens core et core +. Malgré la crise sanitaire, la polarisation de la demande des investisseurs sur les actifs considérés les plus sûrs se traduit même par une pression baissière dans plusieurs pôles tertiaires, comme la Boucle Sud où les taux sont désormais compris entre 3,25 % et 3,50 % à Boulogne-Billancourt (- 25 à – 50 points de base sur un an). La compression des taux de rendement prime s’observe sur d’autres types de biens que les bureaux. C’est le cas du marché de la logistique, où quelques négociations en cours font ressortir des taux compris entre 3,50 et 4,00 %, soit une baisse de 25 points de base par rapport au niveau de l’an passé et de plus de 200 points de base par rapport à celui de 2015 ! « Malgré une légère baisse de 14 % des volumes investis sur un an à la fin du 3e trimestre, la dynamique reste très positive pour ce segment de marché, renforcé par la crise sanitaire et toujours très prisé des grands fonds d’investissement anglo-saxons » précise Matthieu Garreaud.

Commerces : contre-intuitif !

Si le contexte paraît moins favorable aux commerces, ceux-ci font preuve malgré tout d’une certaine résistance. « 2,8 milliards d’euros ont été investis en commerces à la fin du 3e trimestre 2020, soit un volume stable sur un an et une hausse de près de 20 % par rapport à la même époque en 2018 » annonce Antoine Grignon, co-directeur du département Investissement de Knight Frank France. Le constat est le même qu’au trimestre précédent. Ainsi, la performance globale des commerces reste tout à fait honorable, mais elle résulte pour l’essentiel de quelques grandes opérations à commencer par la cession au printemps dernier par UNIBAIL-RODAMCO-WESTFIELD (URW) des parts d’un portefeuille de cinq centres commerciaux pour plus d’un milliard d’euros. Cette dépendance aux grandes transactions s’est prolongée au 3e trimestre avec la finalisation d’une nouvelle opération supérieure à 100 millions d’euros : la cession par le groupe ADEO à BATIPART et COVEA des parts d’un portefeuille européen de 42 magasins dont 18 Leroy-Merlin et Bricoman situés en France.

« Cette opération de sale & leaseback confirme l’intérêt pour les groupes de distribution de vendre leurs murs pour dégager des liquidités, qu’ils peuvent réinvestir dans l’adaptation de leurs magasins aux nouvelles attentes des consommateurs. Les sale & leaseback satisfont par ailleurs les investisseurs à la recherche de biens sécurisés par des baux longs, en particulier dans des secteurs d’activité peu affectés par la crise sanitaire. C’est justement le cas du bricolage, dont les ventes en France ont quasiment rattrapé le niveau de l’an passé » explique Antoine Grignon. C’est également le cas du commerce de proximité, à l’image des nouvelles cessions de magasins MONOPRIX et de supermarchés CASINO en Ile-de-France et dans le sud du pays au 3e trimestre 2020.

Gonflée par la cession du portefeuille ADEO, la part des parcs d’activités commerciales a bondi d’un trimestre sur l’autre. Ces derniers représentent désormais 13 % des volumes investis en commerces depuis le début de 2020 contre 5 % à la fin du 2e trimestre, mais restent derrière les centres commerciaux (46 %) et les rues commerçantes (26 %), toujours pénalisées, à Paris, par la chute de la fréquentation des touristes étrangers. Si quelques grandes opérations sont en cours de finalisation dans la capitale, c’est pour l’instant en régions qu’a été enregistrée la plus importante transaction d’un actif unitaire de pied d’immeuble depuis le début de 2020 : la cession récente à UNOFI du PRINTEMPS de Lille pour un peu moins de 100 millions d’euros.

Quelles perspectives pour les prochains mois ?

Les montants engagés en France depuis le 1er janvier et les opérations en cours de finalisation permettent de tabler sur un volume d’investissement probablement compris entre 20 et 25 milliards sur l’ensemble de l’année 2020. Ce résultat représenterait une chute de 34 à 47 % par rapport à la performance historique de 2019, mais une évolution comprise entre – 14 % et + 8 % par rapport à la moyenne décennale. Le résultat de 2020 est en outre, à la fin du 3e trimestre, déjà nettement supérieur au niveau annuel moyen enregistré sur la période 2008-2013.

Certes, l’incertitude reste élevée, alimentée par la recrudescence récente du nombre de contaminations. Ce flou et les restrictions de déplacement liées aux conditions sanitaires ne sont pas sans conséquence sur l’activité des investisseurs étrangers, dont la part a encore diminué à la fin du 3e trimestre (40 % des volumes investis en France depuis le début de 2020, après 43 % à la fin du 1er semestre). Pourtant, rien ne laisse véritablement craindre un arrêt du marché. Le maintien de taux directeurs bas et l’abondance des liquidités à placer contribuent pour l’instant à limiter l’impact de l’épidémie, malgré le resserrement des conditions de financement et la dégradation des marchés locatifs, particulièrement marquée sur le segment des bureaux. En outre, la baisse assez limitée des taux de recouvrement des loyers, le retour des salariés sur leur lieu de travail, plus important en France que dans d’autres pays, ou les efforts accomplis pour améliorer la valeur d’usage des bâtiments sont autant d’éléments propres à rassurer les investisseurs.

« Les stratégies des investisseurs sont aussi diverses que le marché immobilier français, dont la force est justement la grande profondeur et l’étendue des opportunités offertes à des acteurs de natures très variées. Certains, plus averses au risque, privilégient les actifs les plus sûrs, offrant des revenus pérennes ou tirant le meilleur parti de la crise, comme la logistique, le résidentiel ou les bureaux prime. D’autres mettent d’ores et déjà à profit les décotes observées sur certains types de biens, ou saisissent les opportunités liées aux mutations liées à l’épidémie de Covid-19, comme sur le segment des commerces. Malgré l’état de sidération dans lequel est encore placée la population, les investisseurs se projettent ainsi dans l’avenir, ce qui est, après tout, le meilleur moyen de surmonter les crises » conclut Antoine Grignon.

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