Transformation des bureaux en logements : de la poudre aux yeux

Par Norbert Fanchon, Président du Directoire du Groupe Gambetta

Il n’est pas question d’être ingrat : l’initiative de transformer des bureaux en logements grâce à la création de fonds adossés sur l’assurance-vie est utile. Plusieurs grandes enseignes spécialistes du placement de l’épargne des ménages vont la flécher vers les actifs issus du reconditionnement de locaux tertiaires vacants en locaux résidentiels. Ces acteurs visent la production de 4000 logements par ce moyen. La mairie de Paris, la ministre du Logement et le secrétaire d’État à l’économie sociale, solidaire et responsable ont salué cette innovation. On se tromperait en revanche si l’on voyait là une solution tant au manque de logements en France qu’à l’offre pléthorique de bureaux.

Car enfin de quoi parle-t-on ? On parle déjà essentiellement de la capitale et même strictement de quatre ou cinq arrondissements, et à ces endroits de la capitale on pointe une poignée d’immeubles à usage tertiaire. Lyon, Marseille, Bordeaux peuvent éventuellement être concernés, là encore pour un nombre extrêmement réduit de biens. Ils sont pour la plupart de style et de construction haussmanniens et l’enjeu consiste à leur rendre leur destination d’origine. On mesure que l’exercice technique est par définition réalisable, dès lors que la conception d’ensemble et en particulier ce qu’il est convenu d’appeler la « trame » sont adaptés à cette réversibilité. Pour les immeubles des quartiers d’affaires de nos grandes villes et de nos villes moyennes bâtis dans les quarante dernières années, les contraintes sont infiniment plus fortes et pour tout dire rédhibitoires.

Il est vrai que ces derniers sont les plus affectés par la vacance et qu’ils le seront de plus en plus, car triplement obsolètes. Leurs performances environnementales sont souvent piètres. Leur aménagement fait la part belle aux bureaux individuels qui ne répondent plus aux aspirations actuelles des espaces partagés et qui créent de grandes surfaces communes aveugles dédiées aux blocs sanitaires, locaux informatiques, archives. Enfin, le télétravail s’est durablement imposé dans la vie des Français et va réduire selon les projections des experts d’au moins un quart les besoins des entreprises en surface de bureaux. On le voit la transformation des bureaux des quartiers d’affaire en logements ne pourra réformer valablement l’essentiel de ce parc périmé et hors marché. D’autant plus que la donne économique est embarrassante.

D’une part il faut investir des sommes folles pour payer la rénovation et respecter les normes thermiques, acoustiques, d’accessibilité… D’autre part, la transformation de bureaux en logements nécessite la création d’espaces extérieurs (balcons, loggias), et la multiplication des pièces humides, cuisines, salle de bain, w.c. renchérissent le coût de l’opération. Certes, miser sur une baisse des valeurs vénales des bureaux par anticipation ne fait pas de doute. Mais, tabler aussi sur une plus-value après transformation en logements est une prédiction bien plus aléatoire, pour des immeubles situés dans des quartiers d’affaires qui ne sont pas conçus pour la vie des habitants. On pense ainsi à Euralille, à l’Arena à Nice, à Lyon Part Dieu, et bien sûr à la Défense. Qui ira vivre dans ces endroits ? La pandémie a révélé des attentes des ménages diamétralement opposées à ce que ces quartiers proposent. Par ailleurs, comment imaginer qu’un logement dont 10 à 20% de la superficie ne possède que des ouvertures réduites vers l’extérieur se vendra au prix fort du mètre carré, sans réfaction ?

La surélévation de ces immeubles de bureaux pourrait conduire à des équations économiques vertueuses pour les transformer en logement. Mais on ne peut pas passer sous silence les pesanteurs administratives et la volonté de ne pas construire en hauteur en France. Quand on sait qu’obtenir un permis de construire est déjà long, on peut craindre qu’un dossier pour changement d’affectation avec surélévation ne s’enlise dans des procédures administratives décourageantes.

L’analyse de bon sens mène à relativiser l’efficacité et même seulement le réalisme de la transformation des bureaux en logements. Derrière le bruit médiatique et le marketing habile, que restera-t-il de ce qui est présenté à tort comme une partie de l’avenir de la politique du logement ? Pas grand-chose.

L’arbre cache la forêt : une solution tout au plus interstitielle fait oublier que la construction résidentielle privée comme sociale est en panne depuis le début du quinquennat et que rien n’en laisse augurer le redémarrage. Agir sur le fond en restaurant les relations entre l’État et les maires, en redéployant les aides trop concentrées sur les zones hyperdenses, en allégeant la fiscalité, en réaménageant le territoire, en libérant le foncier disponible ou encore en allégeant les normes de construction, relève de l’urgence absolue.

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