Eclaircie en vue sur le marché français des commerces ?

Environnement économique : du bon…et du moins bon

L’environnement du marché français des commerces ne s’est pas franchement amélioré depuis le début de 2019. Pourtant, si la consommation stagne, elle pourrait désormais accélérer grâce à la hausse du pouvoir d’achat et à l’amélioration du moral des ménages. « Le climat semble d’autant plus propice au redressement de la consommation que le mouvement des « gilets jaunes » s’est essoufflé, même si destensions sociales demeurent et qu’un rebond des défaillances d’entreprises est à craindre. Le petit commerce n’est pas le seul fragilisé ; plusieurs grandes enseignes connaissent également des difficultés, dont les causes sont souvent structurelles et bien plus variées que les seuls troubles sociaux » indique Antoine Grignon, Directeur du département Commerces chez Knight Frank France. Fermetures programmées de magasins Conforama, Castorama et Tati, liquidation judiciaire de New Look et Sonia Rykiel, etc. : les annonces récentes donnent le ton des bouleversements affectant le paysage français des commerces, même si les résultats des différents secteurs d’activité donnent une vision plus contrastée de l’état du marché. Ainsi, le recul des ventes d’habillement (- 1,5 % sur un an au 1er semestre 2019) contraste avec les résultats positifs du bricolage ou de l’ameublement et la confirmation du dynamisme des loisirs, du sport, de la restauration ou des enseignes de bazar.

Physique et digital : un développement plus équilibré

Autre motif d’optimisme, le sentiment d’un « retour en grâce » du commerce physique. Celui-ci s’appuie notamment sur une plus grande prise de conscience des surcoûts du e-commerce, qui rognent la profitabilité des enseignes et des marques (retours, publicité, référencement, etc.) et interrogent sur la soutenabilité de modèles uniquement axés sur les ventes en ligne. « Le bien-fondé d’un développement équilibré, jouant à la fois des atouts du commerce physique et de ceux du digital s’appuie aussi sur des retours d’expérience positifs, à l’exemple de ces plus petits formats développés par nombre d’acteurs traditionnels pour favoriser le click & collect ou de l’expansion des Digital Native Vertical Brands [DNVB]. Si le phénomène n’est pas neuf, la notoriété de ces marques nées sur le web ne cesse de croître au fur et à mesure de leurs ouvertures de magasins » explique Antoine Grignon. Remarquées pour leurs relations plus directes avec le consommateur, l’accent mis sur le service client et leur utilisation du digital, celles-ci continuent en effet d’imprimer leur marque sur le marché immobilier des commerces en maillant le territoire de leurs boutiques en propre. D’après l’analyse menée par Knight Frank[1], ces points de vente se situent à 90 % en pied d’immeuble et à près de 60 % à Paris, même si les bons axes des capitales régionales et de quelques villes moyennes dynamiques sont aussi privilégiés. Citons à titre d’exemples l’enseigne de lunettes Jimmy Fairly et la marque de prêt-à-porter Balibaris qui ont récemment ouvert rue de Passy à Paris, Lunettes pour Tous à Rouen et rue de Rennes à Paris, ou encore Le Slip Français à Cannes et Marseille. « L’expansion des DNVB vient en complément d’une présence originelle sur le web et sert le plus souvent à parfaire la notoriété de la marque. Encore assez modeste, leur réseau de boutiques devrait toutefois continuer à prendre de l’ampleur en raison de l’intérêt des investisseurs et d’une popularité croissante auprès des consommateurs » poursuit Antoine Grignon.

Luxe et nouveaux entrants animent le marché des commerces à Paris

S’il a progressivement perdu en vigueur, le mouvement des « gilets jaunes » a encore pesé sur l’activité des commerces parisiens depuis le début de 2019, en particulier sur les artères concernées par d’importantes mesures de sécurisation. En outre, la baisse des réservations constatée à la fin de 2018 a fait ressentir ses effets sur la fréquentation touristique internationale au 1er semestre 2019. En recul de 0,5 % par rapport à la même période l’an passé, les arrivées hôtelières de visiteurs étrangers en Ile-de-France atteignent toutefois leur deuxième plus haut niveau de la décennie. Le tourisme reste donc un facteur important de soutien pour le marché du luxe, alors même que l’offre hôtelière haut de gamme continue de s’étoffer sur ou à proximité de plusieurs axes commerciaux majeurs (extension du Costes rue Saint-Honoré, ouverture attendue des hôtels Cheval Blanc, Bulgari, etc.). Du côté des commerces de luxe, la tendance demeure positive : une quarantaine d’ouvertures sont d’ores et déjà recensées pour 2019, après les 48 de 2018. « Le secteur élargi de la place Vendôme, de la rue de la Paix et de la rue Saint-Honoré concentre 55 % des ouvertures de boutiques de luxe prévues en 2019 à Paris, contre 32 % en moyenne lors des cinq années précédentes. Cette part élevée tient notamment au dynamisme de l’horlogerie-joaillerie, avec de nombreux projets de création, d’extension ou de rénovation tels ceux de Graff, Cartier, Qeelin, Gucci ou Van Cleef & Arpels » annonce Antoine Salmon, Directeur du département Commerces locatif chez Knight Frank France. Le Triangle d’Or a également le vent en poupe. Plusieurs opérations d’envergure y sont attendues ou viennent d’y être dévoilées, à l’image du flagship inauguré par Dior sur les Champs-Élysées en juillet, parallèlement au projet d’extension de son écrin historique du 30 avenue Montaigne.

L’attractivité du marché parisien est également illustrée par les arrivées de nouvelles marques et enseignes étrangères. Ainsi, alors que l’on avait recensé 26 nouveaux entrants en 2018, 28 sont pour l’instant attendus de façon certaine à Paris en 2019 et 2020. Parmi les plus significatives figurent l’enseigne de gastronomie italienne Eataly, qui a ouvert sur 2 400 m² de surface de vente dans le Marais, la marque de mode Icicle qui s’installera cet automne au 35 avenue George V, ou encore le concept-store Kith, emblème américain du « cool », dont le 1er flagship parisien sera dévoilé en 2020. Par ailleurs, l’année en cours a également été marquée par la concrétisation des projets d’enseignes déjà présentes en France mais se distinguant par l’ouverture de concepts renouvelés. C’est le cas des Galeries Lafayette sur les Champs-Élysées, et surtout d’Ikea boulevard de la Madeleine, qui a fait l’évènement avec l’inauguration en mai d’un format inédit en centre-ville.

Malgré ces quelques ouvertures emblématiques, l’offre immédiate ou à venir de grandes surfaces reste relativement fournie en raison des projets de restructuration menés sur quelques artères majeures, mais aussi des fermetures opérées par certaines enseignes en difficulté ou soucieuses d’optimiser leur réseau de points de vente. Parmi les fermetures récemment observées ou programmées, plusieurs concernent la rue de Rivoli et ses alentours immédiats, dans le secteur de la mode mais pas uniquement (H&M aux n° 88 et 118, Gap au n°102, Forever 21 au n°144, Intersport au n°150, Conforama au 2 rue du Pont-Neuf, etc.). Toutefois, des négociations sont en cours ou ont récemment abouti sur quelques-unes de ces surfaces, et se traduiront notamment par l’arrivée de grandes enseignes de sport et de streetwear. Enfin, l’achèvement du projet de la Nouvelle Samaritaine après plus de quatre ans de travaux devrait également contribuer au retour au premier plan de l’artère, épine dorsale de la rive droite.

« Les perspectives sont plus mitigées pour les grandes artères de la rive gauche, dont l’activité est moins tirée par la consommation des touristes étrangers que celles de la rive droite. Malgré quelques ouvertures et projets significatifs, dans le secteur du luxe notamment avec l’arrivée d’Arije en lieu et place de Cartier au 41 rue de Rennes ou celle, temporaire, de Chaumet au 165 boulevard Saint-Germain, la demande des enseignes y est moins soutenue et les valeurs locatives sont ponctuellement orientées à la baisse » ajoute Antoine Salmon. C’est le cas de la rue de Rennes, où plusieurs libérations sont attendues et qui, s’agissant du haut de l’artère, devra nécessairement composer avec les opérations en cours dans le secteur de Montparnasse (restructuration-extension des « Ateliers Gaité », rénovation de la gare, etc.).

Investissement : net rebond attendu au 2nd semestre

Les montants investis sur le marché français des commerces ont diminué de 24 % entre les 1er et 2e trimestres 2019, passant de 725 à 550 millions d’euros. « Depuis janvier, les commerces ont au total rassemblé près d’1,3 milliard d’euros. La baisse est de 21 % par rapport au 1er semestre 2018, qui avait notamment bénéficié de la cession au fonds de pension allemand BVK du nouvel Apple Store des Champs-Elysées pour près de 600 millions d’euros » explique Antoine Grignon. Les centres commerciaux et les galeries représentent la majorité des volumes investis en commerces (45 % au 1ersemestre 2019) grâce à la vente à Fortress, en début d’année, d’un portefeuille de 26 murs d’hypermarchés et de supermarchés Casino pour près de 400 millions d’euros. Toutefois, ce segment de marché est resté quasiment atone au 2e trimestre, alors que les locaux de pieds d’immeuble et les parcs d’activités commerciales (PAC) ont connu un léger regain d’activité. Pour le marché des PAC, le bilan à mi-année est néanmoins mitigé, avec des volumes en baisse de 19 % sur un an. Du côté des rues commerçantes, quelques cessions de portefeuilles ainsi que de rares acquisitions d’actifs prime parisiens ont permis de combler une partie du retard pris au 1ertrimestre, en attendant la finalisation prochaine de la cession à Norges Bank du futur flagship Nike du 79 avenue des Champs-Elysées pour plus de 600 millions d’euros.

D’autres grandes transactions sont en cours de finalisation, sur le segment des rues commerçantes comme sur celui des centres commerciaux, où AXA s’est par exemple engagé en juillet à prendre des participations dans les centres « Italie 2 » et « Passage du Havre » pour près de 700 millions d’euros. Ces opérations contribueront à améliorer les résultats du marché de l’investissement au 2nd semestre 2019, tandis que l’essoufflement du mouvement des « gilets jaunes », les bons résultats du tourisme, la hausse du pouvoir d’achat et l’amélioration de la confiance des ménages laissent espérer un redressement de la consommation. Cette embellie conjoncturelle pourrait, si elle se confirmait, permettre d’atténuer la défiance des investisseurs, toujours attentistes et très attentifs aux taux d’effort supportés par les enseignes. Par ailleurs, « le ralentissement des développements qui est aujourd’hui constaté, avec moins de créations de nouveaux centres et un contexte politique et réglementaire moins favorable à la multiplication de nouveaux m² de parcs d’activités commerciales, pourrait contribuer à stabiliser le marché au bénéfice des sites existants » explique Antoine Grignon. Enfin, les décotes qu’il est aujourd’hui possible d’obtenir devraient à terme permettre une plus grande liquidité du marché hors du segment prime, au principal bénéfice des actifs disposant de bons fondamentaux (qualité de l’accès, environnement concurrentiel, etc.) et dotés d’un potentiel de revalorisation.

[1] L’analyse porte sur les réseaux de points de vente des DNVB françaises.

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