Le gène sauteur de la Ravine


L’anorexie du nourrisson accompagnée de vomissements est un symptôme observé dans certaines régions reculées de La Réunion entourées de ravines, d’où le nom de la maladie neurologique associée. L’équipe d’Alexandra Henrion Caude, chargée de recherche Inserm à l’unité « Génétique et épigénétique des maladies métaboliques, neurosensorielles et du développement » (Inserm/Université Paris Descartes) a étudié l’origine génétique du syndrome « Ravine ». Son étude montre pour la première fois, l’association entre une maladie héréditaire humaine et la mutation ponctuelle d’un gène « sauteur » non codant, c’est-à-dire composé d’éléments répétés dans le génome, longtemps considérés comme inutiles. Les résultats, publiés dans la revue PNAS, montrent qu’une seule modification du gène entraîne cette maladie létale et que ce type de gène pourrait jouer un rôle important lors du développement cérébral.

Dans le Sud de La Réunion, les ravines, ces larges brèches qui découpent la montagne, ont isolé par le passé une partie de la population de cette île océanique. Cette région influencée par des contraintes géographiques et socio-économiques, a connu dans son histoire des taux importants de consanguinité. En conséquence, des anomalies génétiques se sont transmises au fil des générations. L’équipe d’Alexandra Henrion Caude s’est penchée sur les origines génétiques d’une maladie grave, baptisée « Ravine », puisqu’elle se manifeste essentiellement dans les populations en bordure de ravines. Elle touche certains enfants de La Réunion avant leur premier anniversaire. Ils présentent une anorexie infantile accompagnée de vomissements incontrôlables, ainsi qu’une disparition progressive de la matière blanche du cerveau, qui rend la maladie létale. « Depuis Darwin, les îles sont surtout reconnues pour la richesse de leur faune et de leur flore, mais elles sont aussi, du fait de leur isolement, un creuset remarquable pour l’étude des maladies génétiques » indique Alexandra Henrion Caude, chargée de recherche Inserm et coordinatrice de cette étude.

Les gènes, dans leur définition classique, ne représentent qu’une infime partie du génome humain. La moitié de celui-ci est composée de séquences d’ADN répétitives dont des gènes dits « sauteurs ». Les répercussions de leurs variations ont été peu explorées par le passé. Dans cette étude, Alexandra Henrion Caude et François Cartault, généticien du CHU de La Réunion et leurs collaborateurs, ont analysé le profil génétique de 9 familles dont certaines présentent plusieurs enfants atteints. Ils ont identifié une mutation ponctuelle commune aux enfants atteints du syndrome Ravine sur un de ces gènes « sauteurs ». Si l’enfant hérite de chacun de ses parents de la mutation, il contracte la maladie. En observant cette unique variation, les chercheurs ont révélé l’existence d’un long ARN non-codant mutant qui entraine cette maladie neurologique.

Les chercheurs ont mimé la diminution de production de l’ARN non-codant observée dans le cerveau malade et ont constaté l’induction de la mort neuronale. La mutation identifiée est localisée dans une structure d’ARN en forme d' »épingle à cheveu ». S’appuyant sur la structure de cet ARN, l’équipe de recherche propose différentes hypothèses sur l’implication de ce gène « sauteur » dans le maintien de l’équilibre neuronal : édition de l’ARN, maturation en petit ARN (microARN), et/ou fonctionnement passant par des protéines spécifiques (PIWI, SRP).

« Il s’agit de la première démonstration associant une maladie héréditaire humaine à une mutation ponctuelle dans ce type de gène « sauteur », transcrit comme long ARN non-codant », explique Alexandra Henrion Caude.

Ses travaux récents suggèrent une dynamique intracellulaire de ces ARN non codants, via la démonstration d’une localisation de certains petits ARNs dans les mitochondries, ainsi que l’importance du dosage de ces ARNs au cours du développement humain.

« L’histoire du peuplement de l’île océanique de La Réunion explique en partie l’histoire du syndrome Ravine. Avec notre étude, ses origines génétiques sont précisées et nous suggérons que les gènes « sauteurs » modifient des réseaux complexes du fonctionnement cérébral humain. », conclut la chercheuse.

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