Tribune des 17 ministres de l’environnement européens sur la biodiversité


La biodiversité peut être définie comme l’expression, à un triple niveau, de la diversité du vivant sur Terre : diversité des écosystèmes, diversité des espèces et diversité des gènes

En tant qu’humains, nous appartenons à la biodiversité et sommes tributaires de nombreux systèmes essentiels au maintien de la vie, fournis par la biodiversité et les écosystèmes.

Les écosystèmes fournissent des services bien connus, dont la perpétuation est l’une des clés de notre prospérité économique, de notre sécurité, de notre santé et de bien d’autres aspects de notre qualité de vie. Ces services dits « écosystémiques » comprennent notamment l’air que nous respirons et la disponibilité de biens tels que nourriture, fibres, combustibles, eau douce et médicaments. Ils recouvrent aussi la régulation du climat, des inondations et des maladies ainsi que la qualité de l’eau et des « services de soutien au vivant » essentiels tels que la formation des sols, le cycle des nutriments, la pollinisation et la production primaire. Par ailleurs, ils ont également une fonction culturelle du fait des divers bénéfices esthétiques, éducatifs, récréatifs, psychologiques et spirituels qu’ils engendrent.

La biodiversité a donc une valeur intrinsèque, garantit la stabilité sociale et économique, contribue à construire la prospérité et à réduire la pauvreté, et joue un rôle dans l’atténuation des changements climatiques et dans l’adaptation à ces changements.

Les dernières évaluations montrent que la diversité des gènes, des espèces et des écosystèmes continue à décliner à un taux inacceptable et que les pressions pesant sur la biodiversité perdurent ou s’intensifient, principalement en raison des activités humaines. Ce recul continu entraîne de très graves conséquences écologiques, économiques et sociales et est de nature à limiter la capacité de la Terre à continuer de fournir ses services écosystémiques et à s’adapter aux conditions environnementales changeantes.

Selon l’étude TEEB (« L’économie des écosystèmes et la biodiversité »), la disparition annuelle des services rendus par les écosystèmes s’élèverait à environ 50 milliards d’euros. D’ici 2050, la perte cumulée de bien-être pourrait être équivalente à 7 % de la consommation annuelle.

Les principales causes du recul de la biodiversité sont bien connues : destruction, dégradation et fragmentation des habitats (par exemple en raison de la conversion des terrains, de l’intensification des systèmes de production ou de la construction), surexploitation des ressources naturelles, propagation d’espèces exotiques envahissantes et pollution.

En outre, l’incapacité à chiffrer la valeur économique totale des écosystèmes et de la biodiversité constitue l’un des facteurs importants expliquant leur disparition et leur dégradation continues. Le fait que la valeur-biodiversité soit invisible contribue souvent au mauvais usage, voire à la destruction du capital naturel sur lequel reposent pourtant nos économies.

Pleinement consciente de la situation et désireuse d’y remédier, la communauté mondiale s’est engagée à prendre des mesures d’urgence efficaces pour stopper la dégradation de la biodiversité afin que, d’ici 2020, les écosystèmes aient retrouvé toute leur vigueur et continuent d’assurer leurs fonctions essentielles, garantissant ainsi la variété des formes de vie de la planète et contribuant au bien-être de l’humanité ainsi qu’à l’éradication de la pauvreté.

Cet engagement figure dans le nouveau Plan Stratégique pour la Diversité Biologique adopté à Nagoya en Octobre 2010 à l’occasion de la dixième Conférence des Parties à la Convention sur la Diversité Biologique, de même que la nécessité de développer plus avant la Stratégie pour la Mobilisation des Ressources et le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. L’UE a reconnu le succès de Nagoya, importante avancée obtenue par la communauté internationale en 2010, qui fut l’Année Internationale de la Biodiversité.

Au niveau de l’UE, nous estimons devoir donner l’exemple en prenant urgemment des mesures visant à préserver notre propre biodiversité tout en réduisant notre impact négatif sur la biodiversité au-delà de nos frontières. C’est pourquoi, en mars 2010, l’Union Européenne s’est fixé pour objectif global d’enrayer la perte de la biodiversité et la dégradation des services écosystémiques dans l’UE d’ici à 2020 et, dans la mesure du possible, de les restaurer, tout en déployant davantage d’efforts pour éviter le recul de la biodiversité au niveau mondial.

Six mois se sont écoulés depuis Nagoya : il est donc temps d’agir et de concrétiser les déclarations faites et les engagements pris l’an dernier. Il s’agit là, clairement, d’un défi commun et d’une responsabilité commune, auxquels nous nous devons de répondre en fonction de l’intérêt de l’ensemble de la communauté mondiale, au travers d’une démarche intégrée.

La future stratégie européenne pour la diversité biologique, qui visera à réaliser les objectifs de l’UE en matière de biodiversité d’ici 2020, nous offre l’occasion inédite de nous organiser de façon à atteindre les buts et objectifs convenus au niveau mondial. Des mesures concrètes, pratiquement réalistes et économiquement rationnelles doivent être progressivement et résolument mises en place, tant par l’Union Européenne que par ses États Membres, de façon à impliquer les divers acteurs et secteurs concernés dans la mise en œuvre des décisions de Nagoya.

À ce titre, il conviendra d’accélérer et de généraliser le processus de prise en compte de l’aspect biodiversité dans la conception et l’exécution de toutes les politiques pour lesquelles il est pertinent compte tenu, en particulier, des avantages que de nombreux secteurs tirent de la biodiversité et des services écosystémiques. Dans ce cadre, il conviendra également d’estimer la valeur économique de la biodiversité et d’intégrer ces estimations aux décisions politiques et économiques.

Les réformes en cours des politiques de l’UE dans le cadre du prochain Cadre Financier Pluriannuel constitueront une occasion précieuse pour mener à bien ce travail et de mettre en conformité les objectifs des différentes politiques à réformer et la politique européenne de la biodiversité.

La préservation de la biodiversité nous aidera également à progresser vers le développement durable. La dynamique de croissance qui a permis d’améliorer le niveau de vie n’a pas été sans conséquences sur l’environnement naturel dont dépend, en dernier ressort, le bien-être humain. Dans la crise environnementale et socio-économique que traverse le monde, il est urgent d’orienter l’activité économique vers les modes de production et de consommation ayant le moins d’impact sur l’environnement. La nécessité de mettre en œuvre des politiques visant à estimer correctement la valeur du patrimoine naturel doit être au cœur de nos stratégies de croissance verte.

Étant donné la contribution de la biodiversité et des écosystèmes au bien-être de l’espèce humaine, et à la lumière des principales conclusions de l’étude TEEB – le coût associé à la sauvegarde de la biodiversité et des services écosystémiques est inférieur au coût qu’entraînerait leur dégradation si rien n’était fait pour l’enrayer – il apparaît clairement que la protection de la biodiversité est l’une des clés de l’économie verte. Une économie durable, rationnelle et verte passe par davantage de biens et de services équitables, la réduction de la consommation non-durable et des incitations nuisibles à l’environnement. Veiller à ce que la biodiversité soit utilisée de façon durable permettra de réduire notre empreinte écologique.

L’étude TEEB montre que près de 2,6% des emplois européens sont directement liés aux ressources naturelles et que près de 16,6% le sont indirectement. Encore selon cette étude, le potentiel commercial mondial des investissements dans le domaine de la biodiversité pourrait atteindre 2000 à 6000 milliards de dollars d’ici 2050. L’attention à la biodiversité peut donc également contribuer à la création d’emplois et de marchés et donc, à terme, être génératrice de profits.

Tout bien considéré, la prise en compte de la valeur totale de la biodiversité et des écosystèmes contribuera à l’atteinte des objectifs stratégiques de l’UE. Il convient, dans l’ensemble des secteurs économiques et des décisions politiques, de prendre ou de renforcer les mesures visant à préserver la biodiversité et à l’exploiter de façon durable. Une telle démarche conduira, de façon certaine, à l’amélioration de la croissance économique durable et permettra de stabiliser la qualité de la vie humaine. La préservation de notre capital naturel est notre responsabilité commune.

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