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Immobilier de commerce : le marché résiste malgré une conjoncture plus incertaine

Alors que le SIEC, salon du retail et de l’immobilier commercial, ouvre ses portes à Paris, Knight Frank France dresse un bilan complet et actualisé du marché immobilier des commerces

Contrairement à l’an passé, où l’activité des commerces avait pleinement profité de l’effet de rattrapage post-Covid, la situation est devenue très incertaine depuis le début de 2022. « Après le mouvement des gilets jaunes, la grande grève des transports de 2019 puis le déclenchement de l’épidémie de Covid-19, l’envolée historique des prix et les craintes de récession sont une nouvelle épreuve pour le marché français des commerces, même si ce dernier a jusqu’à présent bien résisté » résume Antoine Salmon, Directeur du département Commerces locatif chez Knight Frank France.   

Des plans d’expansion dynamiques

En 2021, le marché des commerces avait bénéficié de l’embellie économique et de l’accélération des plans d’expansion des enseignes. En 2022, nombre d’entre elles continuent de se développer, de façon plus ou moins rapide selon le secteur d’activité. « L’alimentation et la restauration constituent toujours l’un des grands moteurs du marché immobilier des commerces. Ces deux secteurs regroupent ainsi 40 % du nombre d’enseignes ayant communiqué sur des projets de développement en France depuis le début de l’épidémie de Covid-19, et même 43 % en 2022. En revanche, la part des enseignes de mode continue de se réduire, passant de 20 % lors des cinq années précédant la crise sanitaire à 9 % en 2022 » détaille Antoine Salmon. Cette tendance devrait perdurer, d’autant que l’inquiétude grandissante des ménages sur leur pouvoir d’achat pourrait les inciter à arbitrer davantage leurs dépenses au profit d’autres catégories de produits que l’habillement. Certaines grandes enseignes de mode demeurent tout de même ambitieuses (KIABI, MANGO, etc.), multipliant les formats pour cibler différents profils de consommateurs et s’adapter aux nouveaux modes d’achat (petits formats urbains, flagships de grandes agglomérations, concepts de seconde-main, etc.).

« La composition des ensembles commerciaux ouverts entre 2020 et 2022[1] fait également la part belle aux enseignes d’alimentation et de restauration, mais aussi au secteur du sport et des loisirs, moins exposé à la digitalisation de la consommation. Ainsi, les clubs de fitness, laser game, escape game, concepts immersifs, murs d’escalade et autres pistes de karting occupent une place croissante au sein des projets inaugurés depuis la crise sanitaire, dont ils contribuent à faire des lieux de vie axés sur l’expérience et non sur la seule vente de produits » poursuit Antoine Salmon. D’autres secteurs ont le vent en poupe, comme la santé, les concepts liés à la micro-mobilité ou encore le discount. L’expansion galopante de certaines enseignes à petit prix peut néanmoins être contrainte par des difficultés croissantes à trouver les bons emplacements.  

Ce sont d’autres types de contraintes qui pénalisent aujourd’hui le déploiement des dark stores, dont l’expansion rapide avait frappé les esprits en 2021. « Liées à la disparition de certains acteurs, à des problématiques de rentabilité et à la volonté des municipalités d’en réguler le développement, le ralentissement des ouvertures de nouveaux dark stores est clairement perceptible en 2022. Si 216 sites ont été recensés par Knight Frank en France à la fin du 1er semestre 2022 contre 92 il y a un an, une dizaine seulement ont ouvert depuis le début du printemps » précise Antoine Salmon. Le rythme des ouvertures de dark stores a certes diminué, mais le modèle de la livraison express conserve un potentiel important, illustré par les partenariats noués avec les enseignes de la grande distribution, dont certaines testent aussi leur propre concept (AUCHAN).

Paris retrouve de sa superbe

En 2021, le nombre de nouvelles enseignes étrangères ouvrant leur première boutique en France avait nettement augmenté (42 après 33 en 2020). La hausse s’amplifiera en 2022. « Nous attendons au total une cinquantaine de nouveaux arrivants en 2022 en France, niveau jamais atteint en dix ans à l’exception de 2019. Sur les 25 déjà recensées depuis janvier, 18 ont ouvert dans Paris et au moins autant y sont attendues d’ici la fin de l’année, dans des domaines comme l’habillement et le sportswear, les accessoires, l’équipement de la maison ou la restauration » annonce Antoine Salmon. Les positionnements sont également très variés. Sur le segment le plus haut de gamme, celles-ci s’ajoutent aux projets de marques déjà présentes à Paris, ce qui pourrait porter à près d’une quarantaine les ouvertures de boutiques de luxe en 2022 à Paris après 34 en 2021, dont une part significative rue Saint-Honoré et dans le Triangle d’or, de retour au premier plan après quelques années moins dynamiques. « Ce chiffre élevé souligne l’attractivité de Paris et l’importance pour une enseigne internationale d’y être présente. Capitale incontestée de la mode, destination privilégiée de touristes étrangers revenus en masse, Paris a clairement retrouvé de sa superbe après une période de flottement liée au déclenchement de la crise sanitaire » commente Antoine Salmon.

Le dynamisme de l’activité locative ne concerne pas que le luxe, et contribue à faire diminuer la vacance commerciale sur certaines artères. « La baisse est particulièrement nette rue de Rivoli, dont le taux de vacance s’établit désormais à 6,4 %, loin des 13 % enregistrés à la fin de 2020. Parmi les quartiers les plus animés, citons également le Marais, où la vacance s’est quasiment réduite à néant rue des Francs Bourgeois. Enfin, la vacance reste stable sur les Champs-Elysées, mais de nombreux mouvements récents et négociations en cours témoignent de la vitalité de l’avenue » annonce Antoine Salmon. Alors que les prochains mois s’annoncent riches en évènements sportifs internationaux (Coupe du monde de football 2022, Coupe du monde de rugby 2023 et surtout Jeux Olympiques de 2024), nombre de marques de sport et de sportswear comptent bien tirer parti de l’effervescence annoncée et de l’effet vitrine offert par un flagship sur les Champs-Elysées. Après quelques ouvertures significatives (PSG au n°92, FOOT LOCKER au n°36), des prises à bail ont récemment été actées (LULULEMON au n°38-40) et d’autres seront bientôt finalisées.

La bonne tenue de la demande des enseignes et la réduction de la vacance sur certains axes ont pour effet de faire de nouveau pression sur les valeurs locatives des meilleurs emplacements. « Après la correction de 10 à 20 % relevée au plus fort de la crise sanitaireles transactions les plus récentes et les opérations en cours sur les artères prime font parfois ressortir des niveaux de valeur proches, voire dans certains cas équivalents à ceux pratiqués avant le déclenchement de l’épidémie de Covid-19. Toutefois, les conditions de marché pourraient évoluer si la bonne dynamique du marché parisien venait à s’essouffler du fait de la détérioration de la situation économique » estime Antoine Salmon.

Investissement : volumes élevés mais des craintes de ralentissement

La situation est également devenue bien plus incertaine sur le marché de l’investissement en raison notamment de la remontée des taux d’intérêt. Pourtant, cet essoufflement ne se lit pas encore dans le montant global des transactions actées en France. « Après un très bon 1er semestre, de nouvelles transactions significatives ont été actées cet été, à l’exemple de la cession par Unibail-Rodamco-Westfield du « Shopping Parc » de Carré Sénart. Les sommes investies sur le marché français des commerces s’élèvent désormais à 3,2 milliards d’euros, volume quasi équivalent à celui de toute l’année 2021 » annonce Antoine Grignon co-directeur du département Investissement de Knight Frank France. Les grandes transactions sont particulièrement nombreuses depuis janvier (9 supérieures à 100 millions d’euros contre 4 sur l’ensemble de 2021).

Après une année 2021 quasi record, les parcs d’activités commerciales affichent encore de très bons résultats avec un nombre élevé de cessions de retail parks, de « boîtes » et de portefeuilles d’enseignes (DECATHLON, BURGER KING, BUFFALO GRILL, INTERSPORT, etc.). « Avec près d’un milliard d’euros, les parcs d’activités commerciales rassemblent 32 % des volumes investis en commerces depuis le début de 2022 contre 18 % en moyenne depuis dix ans » détaille Antoine Grignon. Leur part a encore augmenté cet été grâce à la vente par URW à AMUNDI du « Shopping Parc » de Carré Sénart et celle par NUVEEN à BNP PARIBAS REIM d’« Enox » à Gennevilliers. Les parcs d’activités commerciales, dont les résultats sont habituellement contraints par la rareté de l’offre disponible à la vente, profitent cette année d’un nombre plus important d’opportunités, principalement saisies par de grands investisseurs institutionnels français séduits par les bons fondamentaux du commerce de périphérie.

Les centres commerciaux rassemblent quant à eux moins d’un quart des volumes investis, malgré quelques opérations significatives (45 % de « Carré Sénart », partie d’un portefeuille vendu par CARMILA à BATIPART et ATLAND, etc.). D’autres seront néanmoins finalisées ces prochaines semaines, telles la vente par ALTAREA à MRM de ses centres commerciaux de Flins-sur-Seine et Ollioules et celle par URW de « V2 » à Villeneuve d’Ascq. Enfin, plusieurs portefeuilles ont animé le marché des rues commerçantes, en France et à Paris, comme l’achat au 2e trimestre par SELECTIRENTE de 22 magasins situés au cœur de la capitale pour 72 millions d’euros. Citons également quelques cessions significatives d’actifs unitaires comme la vente par MARK à ALLIANZ du 49 rue Pierre Charron dans le 8e, qui abrite le concept-store KITH, ou plus récemment la vente par DEKA des murs de l’ancien CONFORAMA au 10 avenue de la Grande Armée dans le 17e. « Les rues commerçantes sont pour l’instant en deçà de leurs performances habituelles. Néanmoins, leur part sera bientôt gonflée par une opération d’envergure : la vente du 150 Champs-Elysées par GROUPAMA, qui avait déjà animé l’avenue en 2019 avec la cession à NORGES BANK du nouveau flagship NIKE » précise Antoine Grignon.

Les grandes opérations attendues d’ici la fin de l’année permettront d’alimenter un peu plus les volumes et de faire de 2022 un bon cru pour le marché de l’investissement en commerces. Pour 2023, les perspectives sont évidemment plus floues en raison des menaces pesant sur la consommation et de la forte hausse des taux d’intérêt. Malgré cela, le marché devrait rester animé, offrant des rendements attractifs et un nombre assez conséquent d’opportunités issues de l’accélération des stratégies d’arbitrage de certains investisseurs. Les actifs moins exposés aux fluctuations de la consommation resteront particulièrement prisés, comme la proximité et l’alimentaire dont les volumes investis totalisent déjà 400 millions d’euros après avoir rassemblé près de 500 millions d’euros en France l’an passé. « Le succès des parcs d’activités commerciales devrait également perdurer. A l’heure où l’inflation pèse sur la rentabilité des entreprises et sur le budget des Français, ils font en effet valoir des coûts d’occupation plus modérés pour les enseignes et un positionnement prix plus attractif pour les consommateurs » souligne Antoine Grignon.

Les ensembles commerciaux à l’heure de la sobriété foncière

Le ralentissement des nouveaux développements peut être un autre atout pour les investisseurs. Limitant la concurrence exercée par de nouveaux projets et le risque de pression baissière sur les valeurs locatives, il offre une prime incontestable à l’existant et une stabilité appréciable en ces temps très incertains. « Après le rebond de 2021, lié aux livraisons de projets initialement attendues en 2020 mais reportées en raison de la crise sanitaire, les inaugurations de nouveaux retail parks ont été particulièrement rares en France depuis le début de 2022. Celles-ci ne totalisent que 120 000 m² contre un peu plus de 300 000 m² en 2021 et 440 000 m² en moyenne lors des cinq années précédant la crise sanitaire » précise Antoine Grignon. Cette baisse s’explique par la nette diminution du nombre de créations ex nihilo, due à un cadre réglementaire bien plus contraignant depuis l’adoption des lois « ELAN » et « Climat et Résilience ». Après des années de développement soutenu ayant permis de mailler progressivement le territoire hexagonal, la tendance est désormais à la hausse de la part des extensions et des restructurations, parfois significatives comme le programme de réaménagement de l’« Atoll » près d’Angers. La réduction des projets de créations pures et le renouvellement du parc existant caractérisent aussi, mais depuis plus longtemps et de façon encore plus marquée, le marché des centres commerciaux. « Depuis cinq ans, 65 % des ouvertures de nouveaux mètres carrés de centres commerciaux ont concerné des extensions ou des restructurations. Cette part a même atteint 83 % en 2021 et s’élève à 76 % depuis le début de 2022. Au total, près de 90 000 m² ont pour l’instant été livrés dans l’Hexagone et quelques réouvertures majeures sont encore attendues d’ici décembre, comme celle des Ateliers Gaité à Paris » poursuit Antoine Salmon.    

La crise climatique, « game changer » du marché immobilier des commerces

Liée à un durcissement du cadre réglementaire destiné à limiter l’artificialisation des sols, la réduction drastique du nombre de nouveaux développements est l’une des conséquences les plus évidentes de la crise écologique sur le marché immobilier des commerces. Celle-ci se manifeste de bien d’autres façons, entre renchérissement des matières premières restreignant le pouvoir d’achat des ménages et rognant la rentabilité des enseignes, restrictions croissantes de circulation et de stationnement dans le centre des grandes villes, nécessité d’améliorer la performance énergétique des ensembles commerciaux dans le cadre des obligations du décret tertiaire ou encore succès de concepts plus durables comme la seconde-main et les micro-mobilités. « Après un été calamiteux, la prise de conscience de l’urgence climatique n’a jamais été aussi élevée parmi la population et au sein de l’industrie immobilière. Celle-ci sera un facteur de transformation de plus en plus décisif pour le marché des commerces, qu’il s’agisse de changements subis ou volontaires, décidés par les ménages pour adapter leurs façons de consommer et par les enseignes et les bailleurs pour adopter un business model plus vertueux » conclut Antoine Grignon.

[1]Centres commerciaux, parc d’activités commerciales et polarités de pieds d’immeuble.