Taxer l’immobilier : le piège de la facilité

Dans une économie sinistrée après deux mois d’arrêt complet, un véritable plan de relance dédié au secteur de l’immobilier est nécessaire, comme pour la plupart des filières stratégiques. 

Mais, pour l’heure, la priorité est d’éviter une erreur historique : celle qui consisterait à succomber à la tentation de combler les déficits publics par des taxations exceptionnelles sur la pierre. Déjà, certaines idées déflagratrices surgissent, comme un alourdissement de l’IFI ou de la taxation des plus-values, ou une imposition spéciale sur les transactions de plus grande valeur. Autant de pistes qui porteraient une atteinte grave à la lisibilité de la politique du logement, et mettraient en péril mortel une activité ébranlée et fragilisée par la crise. 

La fiscalité immobilière représente déjà 100 milliards d’euros : IFI, Prélèvements sur l’investissement en logement, Impositions sur les revenus immobiliers, Taxe foncière, Prélèvements sur les mutations… L’imagination n’a jamais manqué à ce sujet. 

Dans une période où la démagogie peut apparaître comme une valeur-refuge, rehausser la fiscalité de l’immobilier, pour ne pas augmenter la fiscalité des ménages, c’est tentant. S’interroge-t-on jamais sur le fait que ménages et propriétaires sont les mêmes ?

  • Les deux tiers des Français sont propriétaires occupants, et 20% sont propriétaires accédants c’est-à-dire qu’ils ont encore des emprunts à rembourser pour l’achat de leur résidence principale.
  • Le nombre de bailleurs particuliers s’élève à 5,1 millions en 2018 (57% du parc privé). Deux tiers de ces bailleurs louent un seul logement et détiennent le tiers du parc. Il faut lever définitivement les idées reçues sur les propriétaires : 30 % de ces bailleurs sont non imposables et 37% sont des retraités pour qui l’investissement locatif est un complément de revenu.

La pierre est en réalité le seul investissement des classes moyennes et leur épargne-retraite. Ce n’est pas un hasard : l’acte de se loger est une aspiration profonde pour chacun. Il assoit sur une base fondamentale toutes les autres actions de la vie de nos concitoyens, et constitue, ainsi, un point de départ indispensable à l’accès à toutes les activités économiques et sociales. 

Dès lors, qui peut nier le rôle déterminant du logement comme accélérateur de la reprise ?  L’activité immobilière, qui regroupe l’ensemble des dépenses en capital (logements neufs et existants, terrains d’assise, gros travaux) s’élève à 337 milliards d’euros. La filière dans son ensemble représente de l’ordre de 2,5 millions d’emplois, non-délocalisables. Or, tout porte à croire que la conjoncture restera peu favorable ces prochains mois : touchés de plein fouet par la baisse de leur pouvoir d’achat, perplexes face à l’état de l’économie nationale, nombre de ménages seront tentés voire contraints de différer ou d’annuler leurs projets d’investissement. 

Loin de moi l’idée de reprocher à l’Etat son action des deux derniers mois : les dispositions mises en œuvre par les pouvoirs publics face à la crise sanitaire ont permis d’éviter le pire. En témoigne aujourd’hui la faiblesse des impayés dans le parc d’habitation privé. Mais changer de braquet et lester l’immobilier ou le punir serait la pire des erreurs ; et c’est justement des décisions prises, dans les prochaines semaines, par les pouvoirs publics que dépendra la durée d’une crise économique que l’on sait déjà profonde, et que nous allons traverser collectivement. 

La transaction immobilière peut être un vecteur privilégié de l’accélération de la reprise. Mais elle ne pourra assumer ce rôle, si ses acteurs se trouvent contraints par des dispositions qui viendraient entraver cette dynamique déjà impactée par un inévitable climat de défiance. 

Encouragés et soutenus, les propriétaires bailleurs peuvent être à l’avant-garde de la relance de notre économie, en réamorçant une dynamique vertueuse profitant à tous. Inquiets, ils peuvent aussi faire le choix de retirer leurs biens de la location, ou de réorienter leurs investissements vers des secteurs moins porteurs. Car, s’il importe souvent de se méfier des théories du ruissellement, la corrélation entre le niveau de confiance des acteurs du logement et la vitalité de l’économie nationale est incontestable. 

Confortés, les « petits » propriétaires et les agences immobilières peuvent contribuer au redémarrage plus rapide de l’activité, en libérant les énergies de ceux qui décident d’investir dans un secteur pourvoyeur en main d’œuvre, qu’il s’agisse de constructions neuves ou de rénovation énergétique, en même temps qu’il garantit aux pouvoirs publics d’une participation accrue à l’effort nécessaire pour maintenir une offre de logements décente et durable à nos concitoyens. Dans la période historique qui s’ouvre, donner des gages et des garanties à ces acteurs doit être considéré, par l’exécutif, comme une grande cause nationale.

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