POURQUOI LE SAHEL RISQUE UNE NOUVELLE CRISE ALIMENTAIRE


Récoltes insuffisantes, réduction des pâturages : le Sahel est à nouveau menacé par une crise alimentaire. Si la région fait régulièrement face à des périodes de sécheresse – tous les 4 à 5 ans en moyenne- la situation actuelle est particulièrement préoccupante en raison de d’état de vulnérabilité des populations qui ne se sont pas encore remises de la sécheresse de 2009-2010. Celle-ci avait affecté 10 millions de personnes.

Plus de 500 000 tonnes de céréales, soit 14% des besoins annuels de la population, serait le volume du déficit de production agricole annoncé fin octobre par le gouvernement nigérien. Une saison des pluies médiocre[1] explique en partie ces chiffres impressionnants. Pourtant, le facteur le plus inquiétant se situe ailleurs: dans l’état de fragilité extrême des populations.

«Globalement, la saison des pluies n’a pas été bonne cette année, mais elle n’a pas été catastrophique, ni pire qu’en 2004-2005, année de grande sécheresse, analyse Patricia Hoorelbeke, représentante d’ACF pour l’Afrique de l’Ouest. Le problème, c’est que les populations sont tellement vulnérables qu’elles n’ont plus les moyens de faire face au moindre choc : depuis la sécheresse de 2005, il n’y a pas eu deux années consécutives de très bonnes récoltes ! Beaucoup de ménages vulnérables ont épuisé leurs réserves et l’impact de la hausse générale des prix de l’alimentation combinée aux limitations des migrations économiques en Lybie et en Côte d’Ivoire, réduit d’autant plus les capacités de ménages à faire face aux mauvaises récoltes de cette année. »

Dans ces conditions, on craint une nouvelle crise alimentaire régionale, affectant la Mauritanie, le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Tchad. Selon le Programme Alimentaire Mondial, fin octobre, un million de personnes au Niger avaient un besoin urgent de nourriture suite aux mauvaises récoltes et en Mauritanie, environ 700.000 personnes étaient en proie à une insécurité alimentaire sévère. Au Burkina Faso, plus du tiers des communes ont d’ores et déjà été déclarées en « insécurité alimentaire » par le gouvernement.

Les taux de change en cause

Les déficits de production sont d’autant plus problématiques que les prix sur les marchés -malgré certaines disparités régionales – sont globalement en hausse dans la zone sahélienne. Autre facteur d’inquiétude : le taux de change défavorable entre la monnaie nigériane et le franc CFA, qui risque d’impacter à la hausse les prix, voire de limiter le volume de denrées mises en circulation sur les marchés Sahéliens.

« Il existe des flux importants de céréales entre le Nigéria et ses pays voisins, notamment le Niger, explique Patricia Hoorelbeke. Des commerçants basés au Nigéria achètent sur pied la production au Niger, la stockent et la ré-exportent vers le Niger quand les prix sont en hausse. Or, le taux de change entre la naira (Nigeria) et le franc CFA, ainsi que des poches de faible production au Nord du Nigeria, pourraient inciter ces commerçants à limiter la ré-exportation de la production vers les pays voisins et jouer la spéculation, impactant l’approvisionnement des populations dans des pays voisins en proie à l’insécurité alimentaire. »

Autre facteur aggravant cette année : les crises libyenne et ivoirienne. Le retour au pays de nombreux émigrés – et la perte subséquente de revenus financiers – affecte elle aussi la capacité des communautés à se nourrir.

Conséquence : de nombreux ménages doivent réduire leur consommation alimentaire. Selon les études menées par Action contre la Faim dans la zone d’Ansongo / Ménaka, au Mali, 75% ont réduit leur nombre de repas par jour en octobre, contre 65% à la même époque l’an dernier. Le nombre d’enfants à risque de malnutrition à, lui, augmenté de 5% dans la zone au cours des trois derniers mois.

ACF lance un plan régional de prévention

Ces divers indicateurs annoncent une période de soudure- moment où les greniers sont totalement à vide avant les prochaines récoltes – particulièrement précoce et sévère. Pour Action contre la Faim, il s’agit donc d’intervenir avant la soudure, afin d’atténuer l’impact de cette situation sur la nutrition des jeunes enfants dans les semaines et mois à venir. L’ONG a donc élaboré un plan de riposte déjà effectif au Niger et qui débutera en décembre dans trois autres pays : Mali, Mauritanie et Burkina Faso. Il comprendra des soutiens financiers aux ménages les plus vulnérables et des distributions alimentaires à destination des enfants, « C’est ce qui est entrepris aujourd’hui qui déterminera si une nouvelle crise alimentaire d’ampleur aura lieu au Sahel ou si elle peut être évitée, » conclut Patricia Hoorelbeke.

[1] Saison des pluies médiocre voire mauvaise dans certaines zones (seulement 15% des cultures pluviales en grenaison contre 80% habituellement dans la zone de Keita / Mayahi au Niger; 80% de perte pour le maïs et 75% pour le coton dans la région de la Tapoa au Burkina Faso)

www.actioncontrelafaim.org

Facebooktwitterlinkedin

Catégories :

Catégories