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Égypte. Les dirigeants militaires ont « anéanti » les espoirs des manifestants de la Révolution du 25 janvier


Les dirigeants militaires de l’Égypte n’ont absolument pas tenu les promesses faites aux Égyptiens en matière de respect des droits humains et se sont rendus responsables d’une longue liste de violations de ces droits qui, dans certains cas, ont surpassé le bilan de Hosni Moubarak, écrit Amnesty International mardi 22 novembre dans un nouveau rapport.

Dans ce rapport intitulé Broken Promises: Egypt’s Military Rulers Erode Human Rights, l’organisation rend compte du bilan déplorable en matière de droits humains du Conseil suprême des forces armées, à la tête du pays depuis la chute de l’ancien président Hosni Moubarak au mois de février.

Ce document est publié alors que l’Égypte a connu plusieurs journées sanglantes, au cours desquelles un certain nombre de personnes sont mortes et des centaines ont été blessées, lorsque l’armée et les forces de sécurité ont violemment dispersé les manifestants hostiles au Conseil suprême des forces armées rassemblés place Tahrir, au Caire.

« En faisant comparaître des milliers de civils devant les tribunaux militaires, en réprimant les manifestations pacifiques et en élargissant le champ d’application de la législation d’urgence, le Conseil suprême des forces armées perpétue la tradition du régime répressif que les manifestants du 25 janvier ont combattu si durement, a indiqué Philip Luther, directeur adjoint du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

« Ceux qui le remettent en cause ou le critiquent – manifestants, journalistes, blogueurs et ouvriers en grève notamment – sont impitoyablement pris pour cibles, dans le but de réduire leurs voix au silence.

« Le bilan en termes de droits humains du Conseil suprême des forces armées, après neuf mois à la tête de l’Égypte, montre que les objectifs et les aspirations de la Révolution du 25 janvier ont été écrasés. La réponse brutale et autoritaire face aux manifestations ces derniers jours présente toutes les caractéristiques de l’ère Moubarak. »

En examinant ce bilan, Amnesty International a mis en avant que le Conseil suprême des forces armées n’avait guère tenu les engagements souscrits lors de nombreuses déclarations publiques et avait même aggravé la situation dans certains domaines.

En août, il a reconnu que près de 12 000 civils dans le pays avaient comparu devant des tribunaux militaires, et ce dans le cadre de procès manifestement iniques. Au moins 13 d’entre eux ont été condamnés à mort.

Les accusés sont notamment inculpés de « brutalité », « non-respect du couvre-feu », « dégradation de biens » et « insulte à l’armée ».

Le prisonnier d’opinion Maikel Nabil Sanad, blogueur condamné à une peine de trois ans de prison en avril pour avoir critiqué l’armée et refusé de faire son service militaire, est devenu un symbole. Il a entamé une grève de la faim en août ; les autorités pénitentiaires ont alors refusé de lui fournir les médicaments dont il a besoin pour des problèmes cardiaques. Il est toujours incarcéré, tandis qu’un nouveau tribunal a été saisi de son affaire à la suite d’un recours examiné en octobre.

Dans le but évident de censurer toute information négative sur le Conseil suprême des forces armées dans les médias, de nombreux journalistes de radio et de télévision ont été convoqués par le procureur militaire. En raison des pressions exercées par les militaires, plusieurs actualités majeures ont été passées sous silence.

Le Conseil suprême des forces armées a promis lorsqu’il a pris les rênes du pays de « mener à bien son rôle majeur dans la protection des manifestants, quelles que soient leurs opinions ». Toutefois, les forces de sécurité, notamment l’armée, ont réprimé avec violence plusieurs manifestations, faisant des morts et des blessés.

Le 9 octobre, 28 personnes auraient été tuées après que les forces de sécurité ont dispersé un rassemblement organisé par les chrétiens coptes. Des soignants ont rapporté à Amnesty International que les blessés présentaient notamment des blessures par balle et des membres écrasés, les soldats ayant roulé à grande vitesse sur les manifestants à bord de véhicules blindés. Au lieu d’ordonner l’ouverture d’une enquête indépendante, l’armée a annoncé qu’elle dirigerait elle-même les investigations et a agi rapidement en vue d’éradiquer toute critique.

Le blogueur bien connu Alaa Abd El Fatta, qui a été témoin de ces violences et a dénoncé le fait que l’armée allait conduire l’enquête sur la répression, est toujours détenu après avoir été interrogé par le procureur militaire le 30 octobre. Il semble que les autorités égyptiennes cherchent ainsi à enrayer les critiques contre leur intervention sanglante lors des manifestations de Maspero.

Amnesty International a déclaré qu’elle avait eu connaissance d’informations concordantes selon lesquelles les forces de sécurité faisaient appel aux baltagiya (bandits armés) afin d’attaquer les manifestants. Cette stratégie bien connue était employée sous le régime de Hosni Moubarak.

D’autre part, la torture en détention se poursuit depuis que les militaires sont à la tête du pays et Amnesty International s’est entretenue avec des prisonniers qui ont déclaré avoir été torturés alors qu’ils étaient détenus par l’armée. En septembre, une vidéo a circulé dans laquelle on voyait des soldats et des policiers frapper et administrer des décharges électriques à deux prisonniers. Après avoir manifestement mené une enquête, le procureur militaire a écarté la vidéo au motif qu’elle était « falsifiée », sans aucune autre précision.

Le Conseil suprême des forces armées a promis de mener des enquêtes, dans le but de faire taire les critiques dénonçant de graves violations des droits humains, mais n’a pas tenu ses promesses. À la connaissance d’Amnesty International, aucun auteur présumé de ces violations n’a été déféré à la justice.

Exemple flagrant, il a annoncé le 28 mars qu’il allait enquêter sur le recours aux « test de virginité » forcés effectués par l’armée en vue d’intimider 17 manifestantes le 9 mars, mais aucune information sur cette enquête n’a été rendue publique. Au lieu de cela, la seule femme qui a porté plainte contre le Conseil suprême des forces armées aurait subi des actes de harcèlement et d’intimidation.

Par ailleurs, Amnesty International a indiqué que les militaires avaient expulsé de force des habitants de bidonvilles, après qu’ils ont été chargés d’opérations de maintien de l’ordre début 2011, et a demandé qu’il soit mis fin à la pratique des expulsions forcées.

Il importe que les autorités égyptiennes, notamment le Conseil suprême des forces armées, rétablissent la confiance dans les institutions publiques en enquêtant dûment et de manière transparente sur les atteintes aux droits humains et en abrogeant la Loi relative à l’état d’urgence.

Lorsque le secrétaire général d’Amnesty International Salil Shetty a rencontré des représentants du conseil militaire en juin, il les a exhortés à abroger la Loi de 1981 relative à l’état d’urgence, qui restreint de manière inique divers droits fondamentaux.

Pourtant, en septembre, son champ d’application a été élargi afin de couvrir des infractions telles que les perturbations de la circulation, le blocage de routes, la diffusion de rumeurs, la détention et le commerce d’armes, ainsi que les « atteintes à la liberté de travailler ». Les personnes arrêtées aux termes de cette loi sont jugées par un tribunal spécial, la Cour suprême de sûreté de l’État.

« L’armée égyptienne ne saurait continuer d’invoquer la sécurité comme excuse pour perpétuer les vieilles pratiques déjà utilisées sous le régime du président Hosni Moubarak, a indiqué Philip Luther.

« Afin que l’on assiste à une véritable transition vers la nouvelle Égypte, que les manifestants réclament, le Conseil suprême des forces armées doit relâcher son emprise sur la liberté d’expression, d’association et de réunion, lever l’état d’urgence et cesser de traduire les civils devant des tribunaux militaires. »