Émirats arabes unis. L’observatrice qui assiste au procès de cinq militants constate des irrégularités de procédure flagrantes


Le procès devant la Cour Suprême fédérale de cinq militants émiriens accusés d’avoir « insulté publiquement » de hauts représentants des Émirats arabes unis sur un forum Internet s’est avéré contraire aux règles d’équité les plus élémentaires et les poursuites engagées à leur encontre n’ont aucun fondement en droit international, car elles bafouent leur liberté d’expression, a déclaré l’observatrice chargée d’assister à ce procès au nom d’une coalition d’organisations internationales de défense des droits humains.

La coalition, constituée de sept organisations – Alkarama (« Dignité »), Amnesty International, le Réseau arabe d’information sur les droits humains, Front Line Defenders, le Centre du Golfe pour les droits humains, Human Rights Watch et Index on Censorship – a déclaré que l’évaluation provisoire réalisée par Jennie Pasquarella, avocate spécialisée dans la défense des libertés civiles, soulevait des questions troublantes sur la politisation de l’action intentée contre ces cinq militants. La coalition a demandé qu’ils soient tous relâchés immédiatement et sans condition, et que les charges soient abandonnées.

Elle a également appelé les autorités des Émirats arabes unis à ouvrir une enquête judiciaire indépendante sur la décision de poursuivre les cinq hommes.

« Cette affaire a été entachée d’irrégularités et de vices de procédure depuis le début, ce qui l’a rendue profondément inéquitable en faveur de l’accusation, a déclaré Jennie Pasquarella, qui a suivi le procès en septembre et octobre 2011 et assisté à l’audience du 2 octobre.

« Les autorités émiriennes doivent faire preuve de leur attachement aux principes fondamentaux du droit international en relâchant ces hommes sans attendre, et en procédant à un examen indépendant afin de déterminer pourquoi et comment ils ont été poursuivis sur la base d’accusations à caractère politique. »

Selon l’évaluation de Jennie Pasquarella, « des vices de procédure flagrants » ont fondamentalement privé les cinq hommes du droit à un procès équitable.

Les accusés n’ont pas pu consulter tous les documents établissant les chefs d’accusation retenus et n’ont pas eu accès, malgré leurs requêtes répétées au tribunal, à toutes les preuves réunies contre eux. Ils n’ont pas non plus été autorisés à rencontrer leurs avocats de façon confidentielle.

Les quatre premières audiences du procès se sont déroulées à huis clos, et seuls des agents de la Sûreté de l’État étaient autorisés à y assister et à prendre des notes.

La Cour suprême, rapporte l’évaluation de Jennie Pasquarella, n’a pas traité l’accusation et la défense équitablement, portant préjudice à la défense en l’interrompant et en ignorant ses plaidoiries, alors qu’elle permettait à l’accusation de parler sans interruption.

Le 2 octobre, le tribunal a entendu le réquisitoire de l’accusation, lors même que la défense n’avait pas encore présenté ses arguments et que les accusés n’avaient pas eu accès à tous les éléments de preuve à charge. Le tribunal a informé les avocats qu’ils ne seraient pas autorisés à rappeler les témoins à charge pour un contre-interrogatoire.

Le tribunal a également permis à quatre avocats représentant des personnes se prétendant victimes des actions des prévenus à prendre part à la procédure. Il a permis à ces avocats – qui ont déclaré avoir le droit de réclamer au civil des dommages et intérêts aux accusés pour « dommage émotionnel » – de s’immiscer dans l’affaire, en leur donnant accès à des documents confidentiels du tribunal et en les laissant participer aux audiences, y compris en intervenant pour soutenir le gouvernement et poser des questions au tribunal.

Jennie Pasquarella a déclaré que cette intervention était « clairement destinée à influencer exagérément le tribunal, à gêner et entraver les efforts de la défense pour présenter ses arguments, et à servir la campagne de relations publiques du gouvernement qui vise à dépeindre les prévenus comme des ennemis de l’État ».

Elle a aussi fait valoir que l’action intentée contre ces hommes n’avait aucun fondement légal et souligné que les lois vagues en vertu desquelles ils étaient poursuivis ne répondaient pas aux exigences du droit international, ni à celles de la Constitution émirienne, qui permettent la liberté d’opinion et d’expression.

Début juin, le parquet a inculpé les cinq hommes au titre des articles 176 et 8 du Code pénal, qui érigent en infraction le fait d’insulter publiquement les plus hauts représentants de l’État, après qu’ils ont posté des déclarations sur le forum Internet UAEHewar. Aucun des messages qu’auraient publiés les accusés sur ce site interdit ne va au-delà de critiques au sujet de la politique gouvernementale ou de dirigeants politiques, ont déclaré les sept organisations, qui ont examiné les déclarations en question.

En vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), les gouvernements ne peuvent pas interdire le contenu de médias ou de sites Internet au seul motif qu’il est « critique à l’égard du gouvernement ou du système politique et social épousé par le gouvernement », selon le Comité des droits de l’homme des Nations unies. Bien que les Émirats arabes unis ne soient pas partie à ce traité, il constitue une source faisant autorité et un texte de référence témoignant des bonnes pratiques internationales. En outre, l’article 30 de la Constitution des Émirats arabes unis garantit la liberté d’expression, mais seulement « dans les limites prévues par la loi ».

Par ailleurs, dans son évaluation, l’observatrice a critiqué la décision d’engager des poursuites dans cette affaire selon la procédure appliquée par la Sûreté de l’État, ce qui prive ces hommes des droits élémentaires à une procédure régulière, notamment du droit de faire appel.

Selon Jennie Pasquarella, le gouvernement a poursuivi ces hommes dans le cadre de cette procédure uniquement pour des considérations d’ordre de relations publiques, afin de dénaturer davantage la compréhension que le grand public a de cette affaire et d’engendrer une confusion quant aux véritables enjeux dont il est question – non pas des menaces à la sécurité de l’État, mais simplement des déclarations soi-disant insultantes.

Complément d’information

Les cinq ressortissants des Émirats arabes unis inculpés d’avoir « insulté » des dirigeants émiriens sont Ahmed Mansoor, ingénieur et blogueur, également membre du comité consultatif de Human Rights Watch sur le Moyen-Orient ainsi que du Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme ; Nasser bin Ghaith, économiste, maître de conférences à la Sorbonne-Abou Dhabi et partisan de la réforme politique ; ainsi que Fahad Salim Dalk, Ahmed Abdul Khaleq et Hassan Ali al Khamis, tous trois cybermilitants.

Ces cinq hommes sont détenus depuis le mois d’avril. Le procureur général des Émirats arabes unis a alors annoncé qu’ils avaient été placés en « détention provisoire ». Leur procès s’est ouvert le 14 juin.

Ahmed Mansoor est en outre accusé d’avoir incité d’autres personnes à enfreindre la loi et d’avoir appelé à boycotter des élections et à manifester. En mars, peu avant son arrestation, il a publiquement exprimé son soutien à une pétition signée par plus de 130 personnes réclamant la mise en place du suffrage universel direct pour l’élection du Conseil fédéral de la nation, un organe gouvernemental consultatif, et demandant que celui-ci soit doté de pouvoirs législatifs.

Jennie Pasquarella, avocate qui travaille pour l’American Civil Liberties Union, a suivi le procès en septembre et octobre pour le compte d’Amnesty International, du Réseau arabe d’information sur les droits humains, de Front Line Defenders et de Human Rights Watch, avec le soutien de l’Échange international de la liberté d’expression (IFEX). Des représentants de ces organisations ont également assisté aux audiences des 9 et 23 octobre.

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